A propos d’Anna Politkovskaia dans « la Puce à l’Oreille »

par | Mar 4, 2016 | Projet, Russie | 0 commentaires

Anna Politkovskaia: femme non-rééducable. Ils ont pourtant tenté plus d’une fois de lui faire comprendre, de la rééduquer comme d’autres journalistes avant elle l’ont été. Rééduqués à oublier le journalisme, à se taire, à regarder ailleurs, ou à dire le contraire de ce qui a été vu et entendu sur le terrain. Elle n’était pas et n’est pas la seule à résister. Mais on l’entendait vraiment trop. Elle a été assassinée à Moscou le 7 octobre 2006.

 

Emission La Puce à l’Oreille

Diffusion 03.03.16

La cinéaste suisse Dominique de Rivaz a mis en scène pour le théâtre le texte de Stefano Massini « Anna Politkovskaia: femme non ré-éducable ». Spectacle qui tourne en Suisse Romande dont il a été question dans l’émission culturelle de la RTS « LA Puce à l’oreille » à laquelle j’ai participé. Il y fut aussi question de journalisme en terrain hostile

On l’entendait trop. Anna Polikovskaia ne parlait pourtant pas d’elle. L’empoisonnement, les arrestations, les menaces, physiques et verbales, au téléphone, par courrier, sur internet. « J’ai seulement écrit ce dont j’ai été moi-même témoin » dit-elle dans un texte publié à titre posthume, retrouvé sur son ordinateur après sa mort. Elle se savait évidemment sérieusement menacée, et l’acceptait avec à la fois philosophie et une certaine rage. Une rage contre cette idéologie qui gouverne aujourd’hui la Russie. C’est en tout cas l’impression qu’il m’est resté de la dernière interview faite avec elle en 2004.

La Tchétchénie, l’obsession – quasi- d’Anna Politkovskaia. Elle s’y rend clandestinement durant la guerre de 1999. Celle-ci finie, elle a continué à recueillir les témoignages des habitants et des soldats sur la vie dans cette République du Caucase russe. Même quand il était particulièrement difficile d’appeler cela « la vie ». Le texte de Stefano Massini mis en scène par Dominique de Rivaz le rappelle. Ces images prises en 2004 aussi.

Qu’est devenue la Tchétchénie aujourd’hui? Que devient le Caucase russe? Toute la région a subi les conséquences des 2 dernières guerre de Tchétchénie en 1994 et 1999. J’y suis retourné pour la dernière fois en 2014, juste avant les jeux Olympiques, pour voir, puisque ceux-ci étaient censé prouver que la région s’était « normalisée ». C’était sur la RTS.

Ils l’ont abattue pour la faire taire. Sans succès. La nouvelle mise en scène du texte de Stefano Massini par Dominique de Rivaz en est la preuve. Ses écrits sont vivants. La pièce fait actuellement salle pleine tous les soirs de représentation.

Anna Politkovskaia laissait parler. Une parole qui disait tout.

Soldats et gradés russes dégoutés, mères tchétchènes, combattants, elle était pour ces gens souvent le dernier recours, la seule personne à qui parler, le seul et dernier endroit où s’épancher. Ils prenait des risques énormes pour aller la voir quand elle était en Tchétchénie. Elle écoutait et retranscrivait. L’art du reportage.

La démarche d’Anna Politkovskaia en rappelle une autre. Celle de Svetlana Alexievitch. D’une guerre à l’autre. De la guerre d’Afghanistan avec « les cercueils de zinc » à la guerre de Tchétchénie avec « Tchétchénie, le déshonneur russe ».