La Libye 5 ans après Kadhafi. Par Maurine Mercier

par | Oct 30, 2016 | Projet | 0 commentaires

Le bruit des générateurs, c’est la nouvelle musique de Tripoli. Les coupures d’électricité sont régulières dans la capitale libyenne. Elles peuvent durer des heures, une demi-journée, une journée. Elles peuvent vous surprendre à tout moment. Par exemple quand vous patientez depuis le matin devant la porte close d’une banque dans l’espoir de pouvoir retirer quelques dinars. La monnaie libyenne s’est effondrée. Au marché noir, le dollars et l’euro s’échangent à 5 fois le prix du marché officiel.

J’ai voulu photographier l’une de ses banques désespérément fermées. Mauvais idée. Un homme m’interpelle, menaçant. Il me force à effacer les photos prises. Un autre surveille la scène de sa voiture, prêt à intervenir. Le Libyen qui m’accompagne, un colosse pourtant, ne bronche pas, laisse faire. Il s’excusera après le départ des intrus : « iIs sont probablement membres ou affiliés à une milice pour oser faire cela. Si on résiste, ils peuvent nous abattre. Je l’ai vu de mes propres yeux pour une petite touchette entre deux voitures ». Bienvenu à Tripoli. Une ville sans police dans un pays à plusieurs gouvernements.

 

 Libye  

Tripoli-Misrata-Syrte

2016, 26.09-7.10 

Maurine Mercier

Tripoli by night

 

« Depuis 2011, tous les grands chantiers sont à l’arrêt à Tripoli »

 

Mouammar Kadhafi est mort il y a 5 ans. Fait comme un rat, piégé dans un tuyau en béton à quelques kilomètres de sa ville natale Syrte qu’il tentait de fuir. Les Libyens se sont révoltés pour la liberté, pour la démocratie. « Economiquement nous avions tout » rappelle Omid un jeune de Tripoli. Dans les années 2000, le revenu par habitant en Libye était le plus élevé d’Afrique. Le pétrole faisait tourner le pays, le Colonel l’utilisait pour tenir le pays. Il avait prévenu : « Après moi, le chaos ».

Le constat aujourd’hui est implacable, c’est le chaos. Les Libyens en sont parfaitement conscients. Ils vous le disent, parfois la rage au cœur, souvent les larmes aux yeux. C’est le cas d’Omid.

A Tripoli, la nuit, les générateurs ne couvrent pas le bruit des coups de feu. Pas toutes les nuits, mais régulièrement. Le matin vous apprenez qu’un haut responsable de la banque centrale a été enlevé, ou que deux milices armées se sont affrontées pour d’obscures raisons dans un quartier périphérique de la ville. La population ne réagit plus. Elle vaque à son difficile quotidien post révolutionnaire. Et l’avenir ne s’annonce pas mieux.

Ministre, expert, combattant médiatique revenu de l’étranger, directrice d’ONG, 4 profils rencontrés parmi d’autres pour une seule conclusion. Une guerre civile est possible voire probable en Libye. Entre le gouvernement d’Union Nationale soutenu officiellement par l’ONU et le général Haftar soutenu non officiellement par quelques pays aux intérêts régionaux bien compris. Le premier contrôle l‘Ouest du pays, le deuxième l’Est.

Mais pour l’instant, la guerre est à Syrte (géolocalisé). Ce qui reste de l’armée libyenne et des groupes armés de la ville de Misrata combattent ISIS, Daesh, l’Etat Islamique – appelez-le comme vous voulez. (Syrte, géolocalisé)

L’Etat Islamique a occupé Syrte en février 2015, y a imposé son mode de vie, sa violence, ses horreurs. La plupart des habitants ont fui la ville. Sûr de son fait, l’EI a voulu s’en prendre à la ville voisine, Misrata. Grave erreur. La population de cette ville a appris à se battre en 2011, contre les troupes fidèles au Colonel Kadhafi. A l’approche de l’EI, elle s’est mobilisée. Aujourd’hui encore, elle fournit l’essentiel du contingent des hommes qui se battent à Syrte pour éliminer ce qui reste de l’Etat Islamique. Des étudiants, des citoyens comme vous et moi condamnés à choisir entre prendre les armes ou vivre sous le joug de Daesh. Des familles s’organisent, certains enfants partent au combat, d’autres assurent la survie économique familiale.

« Pourquoi vous nous laissez seuls? Nous luttons contre un ennemi commun, non ? »

La lutte de Misrata contre l’Etat Islamique a débuté le 12 mai 2016. Après avoir repoussé l’offensive contre la ville, ses combattants ont poursuivi les hommes de l’EI jusqu’à Syrte. Le terrain est reconquis maison par maison, rue par rue, quartier par quartier. Une guerre urbaine extrêmement meurtrière.

Elle a conduit plus de 550 jeunes de Misrata à la morgue et plus de 3000 à l’hôpital en 5 mois de combat. L’hôpital régional est débordé et désespère de recevoir une aide internationale. « Nous luttons contre un ennemi commun, non ? » interroge faussement naïf un médecin.

Où se déroule cette boucherie lente ? En route pour Syrte.

Une longue route à travers un paysage semi-aride. 250 kilomètres entre Misrata et Syrte. C’est dans ce désert que l’Etat Islamique a tenté de foncer sur Misrata en mai dernier. Un axe parcouru aujourd’hui surtout par des pick-up équipés de mitrailleuses des combattants de Misrata qui en ont repris le contrôle. Quatre check-points sont dressés sur le trajet. Mieux vaut être du coin, mieux vaut être accompagné de quelqu’un dont le nom de famille résonne dans la région.

Les rares voitures civiles qui parcourt cette route amènent de la nourriture pour les combattants de Misrata

 

 

Syrte: ville fantôme pour un habitant presque fantôme

 

 

Syrte est déserte. Tous ses habitants ont quitté la ville, ont fuit les combats, la destruction. Mahmoud a tout perdu avec l’arrivée de l’Etat Islamique. Ses magasins ont été saccagés et la marchandise volée. Sa maison a été occupée par des combattants de l’EI et leur famille. Ses deux fils ont été blessés en défendant leur ville. L’état libyen à peine existant ne peut ou ne veut lui venir aide. A lui comme aux milliers d’autres habitants qui ont fui Syrte.

 

 

 

Mahmoud veut revoir sa maison, malgré la ligne de front très proche, malgré les mines cachées dans le désordre de ce logement détruit. Une technique de l’Etat Islamique pour faire un maximum de victimes. Miner tout ce qui peut l’être quand il bat en retraite. La politique de la terre brûlée.

Une explosion à quelques dizaines de mètres rappelle que l’Etat Islamique n’est pas loin. Toujours baisser la tête. Ne jamais rester à découvert. Des snipers sont à l’affût, ils peuvent vous toucher à 2.5 kilomètres de distance. La journée est pourtant plutôt calme. De combattants se reposent dans une école de quartier transformée en base arrière d’une « katiba », un de ces groupes armés de Misrata. Ils sont jeunes, souvent étudiants . Et pourtant ils se battaient déjà en 2011. Aujourd’hui, ils n’en peuvent plus. Plus de guerre. Ils rêvent de retourner sur les bancs de leur université ou de leur institut.  Ils sont touchés qu’on ait envie d’entendre leur histoire, ils sont touchants dans leur soudaine fragilité face à des questions qu’ils préfèrent ne pas se poser pendant qu’ils sont au combat.

 

Quelques explosions, quelques tirs de snipers, un avion ou un drone qui survole la zone. Seuls 2 blessés sont arrivés à l’hôpital aujourd’hui. Il en recueille parfois jusqu’à 250 d’un coup. Le problème d’un hôpital de campagne, juste derrière la ligne de front. Quand les combats font rages, aussi meurtriers qu’ici, il est vite débordé. Tout y est précaire, mais propre et prêt en cas de besoin. Des médecins de tout le pays viennent aider. « A band of brothers » rit un médecin avec un puissant accent irlandais. Il a exercé à Dublin puis à Belfast, aujourd’hui de retours en Libye, à Syrte, « parce que le pays en a besoin ».

Retour sur Misrata, avec en chemin, un arrêt dans une station-service. L’essence est gratuite dans la zone de combat. Les sandwichs aussi. Ce serait une insulte de ne pas les accepter. Un dernier message transmis par l’homme qui tend la nourriture, treillis militaire usagé sur lui, « on veut que ça finisse ».

Mais comme les experts de Tripoli le craignent, après la victoire contre l’Etat Islamique, une autre guerre attend peut-être la Libye, cette guerre civile entre l’Est et l’Ouest du pays. Et Misrata sera une fois encore sur la ligne de front, située juste entre les 2 parties.